Le projet de broderie à Laghmani en Afghanistan
Nous travaillons maintenant depuis plusieurs mois à la mise en oeuvre de cette formidable exposition, dont je vais vous parler souvent dans les prochaines semaines. Voici en quoi consiste ce projet:
Il concerne un regroupement de villages qui se trouve dans la province située au Nord de Kaboul, très près de Kaboul (60km) et pourtant très différent ! En Afghanistan, la vie dans les campagnes et celle des villes sont à l’opposé l’une de l’autre.
Alors qu’en ville des femmes peuvent travailler – elles sont principalement professeurs et infirmières (elles ne sont jamais commerçantes), pour une femme vivant dans les campagnes, il est inconcevable de travailler. La tradition y est encore plus exacerbée qu’en ville et exige que ce soit l’homme qui nourrisse sa famille, la répartition des rôles étant très claire.
Dans ce regroupement de trois villages, il se passe comme une petite révolution : alors que deux hommes sur dix ont un salaire mensuel (les autres sont journaliers avec tous les aléas de la « profession »), ce sont les femmes qui apportent régulièrement un salaire et permettent à la famille de (sur)vivre. Les hommes acceptent cette situation et refoulent leur fierté. Elles sont systématiquement payées par l’association DAI* qui prend le risque que les broderies ne soient pas vendues en Europe.
Elles sont 200 femmes et jeunes filles qui participent au projet lancé en 2004 (dix ans !). Elles ont été embauchées après avoir passé un concours, c’est Pascale Goldenberg qui a fixé le nombre de carrés qu’elles peuvent broder par trimestre, de 10 à 80 carrés. Ce nombre est fonction de leur âge, de la qualité et du style de leur broderie.
Elles brodent à la main chez elles dans leur cour, sur tissu-support et avec fils de coton provenant d’Allemagne, le plus souvent à plusieurs en discutant bien-sûr ! Elles ont du s’organiser pour faire rentrer dans leur quotidien cette activité qui faisait partie de la tradition mais pas de façon si prenante.
Elles n’avaient plus brodé depuis 25 ans, les années de guerre passées en fuite, où les priorités étaient bien autres. Actuellement, elles ne brodent absolument plus pour leurs propres besoins, estimant que cela est passé de mode : elles veulent être modernes et affectionnent les broderies machine importées du Pakistan. Bien que pratiquement toutes assurent broder avec plaisir, elles ne brodent que dans le cadre du projet parce qu’elles sont payées, ce projet permet donc aussi de sauver une technique traditionnelle en voie de disparition.
Elles brodent des carrés de 8 cm de côté (en principe) créant toujours de nouveaux motifs ; Elles utilisent principalement le passé plat et le point de couchure de Boukhara. Leur potentiel créatif est époustouflant lorsque l’on prend conscience qu’elles sont analphabètes et enfermées dans les mailles du filet d’une société extrêmement traditionnelle. La broderie est en elle-même achevée et appelle à être intégrée dans un objet pratique (sac, coussin, application sur habit) ou décoratif (panneau décoratif), voire artistique : comme un germe, cette broderie inspire la personne européenne qui se l’approprie.
Les expositions représentent une plateforme tout à fait convaincante du bien fondé de faire se rencontrer deux cultures si différentes. Dans tous les cas une ou plusieurs broderies afghanes jouent le rôle d’amorce du projet textile européen.
*Les projets sont gérés par l’association allemande de Fribourg en Brisgau (du style loi 1901) DAI : www.deutsch-afghanische initiative.de ;
Le projet a un site internet en 3 langues : www.guldusi.com;
Pascale Goldenberg est l’initiatrice de ce projet, elle se rend régulièrement en Afghanistan et se charge de la vente en Europe.